Saturday, December 12, 2015

Hermès et le petit garçon

Quand j'étais tout gamin, chez mes grand-parents, il y avait dans les sous-sols de leur maison -- un de ces vieux immeubles d'avant-guerre avec des balcons et des tourelles – non pas un dragon ou une distillerie clandestine, mais l'imprimerie familiale.
J'adorais m'échapper pour y descendre, les yeux grands ouverts, regarder travailler les ouvriers de mon grand-père, admirer l'activité des presses à platine...
Des machines noires, qui sentaient l’encre et l’huile de machine, qui forgeaient page après page les livres que mon grand-père éditait… Fascinant, mais on me le répétait sans cesse, dangereux aussi, et je ne devais en aucun cas me promener dans les allées de l’imprimerie.
Dans un coin, il y avait d’ailleurs la créature la plus dangereuse, une linotype, un paon de métal qui crachait du plomb fondu et mangeait les doigts de ses gardiens comme de mon grand-père.
Mais on ne me laissait pas approcher de cette créature, bien trop féroce elle était !
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Quand j’étais tout gamin, chez mes grand-parents il y avait aussi une vieille machine à écrire. Une Hermès. Je ne sais quel modèle, l’engin s’est perdu au fil des déménagements.
Je visualise encore très bien la machine. Noire, des touches rondes, un mécanisme articulant chaque lettre du doigt au marteau, du marteau au papier, du mot au papier.
Son métal vernis de noir luisait à la lumière de la lampe de bureau -- modèle classique de héron de métal et de ressorts – et lorsqu'il faisait nuit, sa carcasse reflétait les lumières des trains qui passaient devant la fenêtre.
Cette machine là, j'y avais accès. Dans ma tête, c'était un peu pareil, c'était une machine avec un clavier, comme une linotype... J'allais faire un livre ! Et mon grand-papa serait fier !
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Et donc, debout sur le fauteuil à roulettes j’étais parvenu à introduire une feuille dans la machine. Agenouillé sur le bord du bureau je remis le chariot en position, ding !
Puis, prudemment, les yeux brillants, je redescendis de mon perchoir, laissant les hauteurs de la table sous la surveillance du héron de métal et de ressorts.
Comme des petites pattes, les marteaux attendaient un geste, une pression vigoureuse sur leurs touches.
Un index bien trop petit vint appuyer timidement sur une touche, un marteau suivit le mouvement.
Mais pour imprimer une lettre sur le papier, il faut tout de même y mettre de l'énergie.
Tac. Rien.
Tac ! Le marteau frappa délicatement le ruban, laissant sur la page l'ombre d'une lettre (un 'z')
TAC ! La lettre s'imprima, nettement. Ok. J'ai dû prendre un air déterminé, il allait falloir y mettre de la force. Déterminé !
TAC ! Un 'a'. TAC ! Un 'g'. TAC ! Un 'v'.
Le travail avançait bien. C'était chouette.
Entre les touches il y avait juste la place. Juste la place d'y coincer une petite main d'enfant, même s'il faut forcer un peu.
Et zip ! Le faux mouvement ! L'index rata la touche, passa dans l'interstice...
Ah. Surpris. Je tirai sur le doigt pour le retirer. Coincé. Incrédule. Tirai encore. Non, rien à faire, coincé. Pincé même, et ça commençait à faire mal.
Les larmes ont du me venir aux yeux à ce moment-là. Dans ma tête, j'allais perdre le doigt ! Comme mon grand-papa ! Ou alors la main ! Peut-être même le bras tout entier !
Un geignement se fait entendre, l'enfant essaie de sortir sa main du clavier, mais rien à faire, c'est coincé. Le gamin commence de pleurer, sa grand-mère alertée vient voir ce qui se passe, saisi la situation d'un seul regard. Efficace et pragmatique, attrape la main de l'enfant et avec fermeté extrait le doigt pincé dans le clavier. Puis souffle gentiment sur l’appendice menacé.
Pffffffffffh...
« Voilà. Ça ne fait plus mal n'est-ce pas ? »






Wednesday, November 25, 2015

Le point de départ

Une heure entre deux départs, la gare est déserte, silencieuse et sombre. Mes pas résonnent, le vol d’un pigeon perturbe le silence, un peu.

Les sons sont comme étouffés, l’écho fait disparaître les murs, le bâtiment s’efface dans la brume, l’ambiance est au mystère...

Où va la gare quand elle est inutilisée ?

Les gares n’existent que dans la tête des voyageurs, n’existent que parce qu’on s’y rend.
Et on s'y rend, parce qu’un automate, crache un morceau de carton, un ticket de train, une contremarque à échanger contre l’arrivée à une destination.

Au même moment ! Au même instant où la machine imprime son œuvre, soudainement, une destination apparaît exactement à l’endroit où le voyageur désire se rendre.

Les choses sont ainsi faites, qu’il n’a plus qu’à s’y déplacer pour échanger son billet, c’est tout de même bien pensé, quand on prend la peine de s’y intéresser…

Mais la gare, la gare n’existe que dans la tête des gens qui y passent. Elle est un lieu vague sans les voyageurs, qui n’a pas de sens, et le sens quand on voyage en train, c’est capital.

Quand on achète un billet de train, soudain une gare apparaît, comme un clou, à l’autre extrémité de la ligne, et par la magie du système ferroviaire un parcours est créé.

D’un point A à un point B, des rails surgissent du sol, leur métal bouscule les pissenlits et la luzerne, les traverses et le ballast déracinent les orties et quelques pieds de vignes.

Quel bazar !

Heureusement qu’on n’a pas besoin d’acheter de billet pour prendre l’ascenseur ou pour arriver à demain, imaginez deux secondes le foutoir que ce serait…

Soudain ! Soudain ! Là où il n’y avait qu’un silence cotonneux, dans lequel je songeais, un brouhaha immense ! Une foule ! Des valises à roulettes ! Des touristes en cartons de douze ! Voyageurs organisés !

Avec un ensemble parfait, ils jettent un regard à gauche, un regard à droite, et d’un geste uniforme jettent au sol le billet de train qui les a amenés ici.

Ici !

Où étais-je avant qu’ils arrivent ?






Wednesday, October 28, 2015

Un plat typique

La marmite est prête.

Le chou, les carottes, les saucisses, les champignons, la collection d’épices, les patates et les morceaux de lard.

Il faut couper tout ça.

Le cuisinier prend le temps de considérer les aliments. Les aliments considèrent silencieusement le cuisinier, mais ne manifestent qu’indifférence. Aucun tubercule ne moufte, pas une tige, pas un zeste ne s’échappe de la table. La main n’a plus qu’à saisir, le hachoir n’a plus qu’à hacher.

Il faut tout couper. Tout couper. Il faut couper tout ça.

Une mouche est entrée dans la cuisine. Attirée par la lumière et les aliments. On entend son bourdonnement, léger contrepoint à celui du frigo. Elle reste inaperçue, la tension monte.

Il faut tout couper, tout couper très fin.

La main s’élève, crispée sur le manche du couteau.
Un rai de lumière frappe la lame, un éclat froid. Inquiétant.
La table tressaute. Un premier coup de fer vient frapper le bois. Un coup lourd, comme une hache qui s’abat sur un tronc. Les légumes tremblent, les saucisses sautillent, le lard colle au bois, la petite salière en verre se couche sur le coté.

Il faut couper fin. Il faut. Couper. Tout ça. Très fin. Très très fin.

Le massacre continue.
Le lard un instant résiste, courageux. Mais la lame impitoyable se fraie un chemin dans sa chair, la traverse, décolle la graisse du plan de travail, tandis que la main récolte les morceaux et les jette dans la marmite.

Couper ! Fin ! Tout ! Et le lard aussi !

C’est au tour des végétaux… La cadence s’accélère…
Une grêle de métal et d’angles tranchants. Chaque coup asséné exactement un demi-millimètre à gauche du précédent, guidé habilement le long de la main gauche, un geste assuré, précis.
Comme un tambour. La table résonne sous le déluge de chocs, l’acier trempé de sucs végétaux brille sous le néon !

Il faut COUPER ! TOUT ! COUPER !

Un nouveau geste, comme une serre, et la main s’empare des saucisses.
Le feu de la lame épargne les doigts mais tranche les saucisses, en morceaux plus épais que tout le reste, tout le reste qui doit être coupé très très fin, tout, presque tout. Des rondelles roulent de tous les cotés, rapidement interceptées.

Il faut tout COUPER !

La cuisine résonne d’échos de violences passées. La paix revient, un geste et les saucisses rejoignent les légumes dans la soupe. Ça mijote. Peinard.
Essoufflé. Une goutte de sueur glisse le long de son front, qu’il essuie d’un revers de main. Son cœur bat fort, bien à l’abri de sa cage, loin des couteaux et des carottes.

Tout est coupé.

Un geste vif, la main s’empare de la salière, mais la graisse du lard complique la tâche, la salière glisse, vole, heurte la paroi, s’ouvre, s’ouvre, s’ouvre… Le sel s’échappe… Et tout finit dans la marmite.

Consternation.

La mouche ressort de la cuisine. Invisible.

Wednesday, September 23, 2015

Les saint-bernards

Une scène d'été, à côté d'une mare à canards bien connue de l'espace touristique lausannois...
Deux individus, rougeauds et essoufflés par la montée ma foi assez raide menant au marigot. Installés à une table de la terrasse d'un des débits de boissons des lieux, ils contemplent les environs lorsque j'arrive à mon tour, m'installe à une autre table, et sort mon calepin.
J'ai l'intention d'écrire.
L'odeur légèrement marécageuse de l'endroit m'inspire un conte exotique, la bière est fraîche...

Elle : Mais ils sont beaux ces chiens non ? C'est quoi ? Des Saint-Bernards ?
Lui : C'est pas des bouviers ?
Elle : Ah ouais vous croyez ? Ah mais c'est vrai han, ça pourrait...
La serveuse : Voici les bières, ça fera 8.20
Elle : Merci mademoiselle, vous savez ce que c'est ces chiens ?
La serveuse : Non madame. Merci madame (elle s'en va)
Elle : Mais quand même hein, c'est des beaux chiens. Hein, c'est des beaux chiens. Je me demande ce que c'est. C'est des Saint-Bernards ?
Lui : C'est pas des bouviers ?
Elle : Ah ouais, vous croyez ? Ah mais ça pourrait hein, c'est des beaux chiens. Mais c'est des gros hein, c'est des Saint-Bernards ?
Lui : C'est pas des bouviers ?
Elle : Ouais mais les bouviers, c'est pas blanc ? Ou alors c'est des Saint-Bernard ?
Lui : Monsieur, vos chiens, c'est quoi, c'est des bouviers ?
Le monsieur des chiens : Non, c'est des bergers des Pyrénées.
Lui : C'est pas des bouviers ?
Le monsieur des chiens : Non, c'est des bergers des Pyrénées.
Lui : C'est fou. J'aurais cru que c'était des bouviers. Merci monsieur.
Elle : Oh ben c'est des beaux chiens hein. C'est sur. J'aurais pourtant dis que c'était des Saint-Bernards. C'est grand aussi les Saint-Bernards non ? Hein monsieur, c'est plus grand que des Saint-Bernards vos chiens ?
Le monsieur des chiens : Oui madame, c'est bien possible.
Elle : C'est des beaux chiens hein.

La discussion continue, je me concentre sur mes histoires exotiques de marigots et de marécages canardeux.

Thursday, July 02, 2015

Comme le temps passe…

Voilà maintenant un an que je slame.
Un an, plus ou moins quelques jours, 12 fois, 11 fois probablement, que je monte sur cette scène ou une autre pour prendre la parole, et vous amuser de mes histoires.
Chaque mois, j'essaie de poser sur le papier ou le clavier, un à deux textes, puis de vous les dire. C'est mon défi personnel. Écrire. Parler c'est facile. Trouver dans le slam le motif nécessaire à poursuivre cette voie, l'écriture, la narration. Pas de rimes, ou alors pas trop. Un texte, et si possible une histoire…
Un an... Comme le temps passe...
Pendant cette année, le monde a bougé, le passé a encore reculé dans nos mémoires, le futur s'est approché de nous mais est resté toujours insaisissable, un jour j'écrirai, un autre jour j'écrirai, lorsque je serai grand j'écrirai un roman... Je suis grand, je n'ai toujours pas écrit de roman, le temps passe et je vous parle de cette ambition, de cette volonté pas encore réalisée...
Je parle, le temps passe, 3 minutes à écouler tranquillement, grain après grain... Lettre après lettre, imprimées sur le papier...
Ailleurs dans le temps, c'est mon grand-père qui parle, il raconte les histoires de Gognaf. Il les raconte à mon oncle quand il est enfant. Il les raconte à ma tante quand elle est enfant. Il les raconte à ma mère, quand elle est enfant, il nous les racontes à moi et à mon frère, gamins turbulents mais avides de contes, les aventures de Gognaf, livré tout petit par une cigogne distraite à des parents adorant la choucroute.
Plouf !
Le bébé Gognaf naissait encore et encore d'une chute dans la choucroute là ou d'autres seraient tombés dans la potion magique... Aaaah, le ravissement des enfants ! C'était amusant, nous avons tous ris.
Mais le temps passe...
Mon grand-père n'a jamais écrit les aventures de Gognaf, et maintenant c'est trop tard, bien trop tard... Son coin de cimetière à l'ombre des cyprès, les fleurs y éclosent, les ronces s'y développent, d'années en années le granit gris se couvre de lychen, il a de plus en plus l'air d'avoir toujours été là, seules les lettres de bronze énonce le temps, l'instant dans l'histoire ou un acteur a quitté la scène, et rappelle si besoin que oui oui, c'est vrai, c'était hier, mais c'est maintenant il y a longtemps, le temps passe vous vous souvenez ?
Et pendant que je slame, il glisse tranquillement, pendant qu'il se passe des choses, dans la salle et ailleurs. Et pendant que je vous parle, mais ailleurs dans le temps, c'est un scribe égyptien qui dessine un poème, ailleurs dans le temps, c'est moi qui tape au clavier, un texte sur le temps.
Demain c'est trop tard, demain, encore demain, et si tu n'écris rien ce sera déjà trop tard.
Ce soir, prends ta plume.
Écris.
Joyeux anniversaire...

Thursday, June 11, 2015

La petite robe à fleur

C'est une petite robe à fleur.
Comme une petite robe noire, mais à fleurs.
Une petite robe à fleurs, qui se promène en ville, jolie, élégante, dans l'air du temps et adaptée à la saison qui s'annonce.
Une petite robe à fleurs, qui découvre le monde autour d'elle.
Si elle avait des yeux, ils seraient gourmands, grands ouverts à dévorer du regard tout ces beaux messieurs et toutes ces charmantes dames.
Et d'ailleurs, elle les suit.
Dans la rue, un après-midi de juin, elle les suit. Discrètement.
Elle les suit, toutes ces magnifiques personnes, et elle se raconte des histoires. Elle s'imagine des choses... coquines ?
Envieuse de ces femmes qu'elle trouve si élégantes, si vivantes – après tout, elle n'est qu'une petite robe à fleurs, et les plaisirs de la chair, elle ne peut que se les imaginer. Elle s'imagine couvrir de ses fleurs la douce peau de toutes ces beautés,
Et les beaux messieurs, avec leurs pattes d'oies et leurs tempes grisonnantes, elle les convoite, elle voudrait sentir leurs grosses mains bourrues caresser ses coutures, froisser son tissu. Comme ce serait bien de pouvoir toucher, de pouvoir caresser ces cheveux rares, cette barbe si douce, si fournie, si fleurie.
Mais elle n'a pas de mains. Elle n'a que de très courtes manches en guise de bras. Elle ne peut pas palper à pleine main, frôler du bout des doigts.
Elle ne peut pas frémir sous le plaisir, seulement sous la brise et les courants d'air.
Elle peut resplendir au soleil, de toutes ses couleurs. Alors elle se donne à fond, pour briller, pour chatoyer, pour que ses fleurs imprimées soient plus vraies que nature !
Une petite robe à fleurs, avec une vue bien adolescente du monde, qui rêve, qui idéalise, qui songe, qui convoite, qui rougit...
...
Le feu passe au vert.
La jeune femme à la robe à fleur traverse alors la route, d'un pas preste.
Ses cheveux courts brillent sous le soleil, elle suit les autres piétons, concentrée sur sa destination, inconsciente des pensées de son vêtement.

Wednesday, April 08, 2015

Toutes ces choses qu'on ne sait pas

Tous les jours, on est confronté à des mystères, des inconnues, des choses qui nous échappent ou qui nous interloquent un tantinet. Mystères et énigmes, c'est le lot commun de nous autres, primates supérieurs, persuadés que le monde est fait pour nous, contrariés qu'il ne soit pas livré avec un mode d'emploi détaillé, une notice de chez IKEA, ou même un vague graffiti explicite et vaguement salace. Le monde, est plein de choses que nous ne savons pas...
Ce que j'imagine...
La parabole de la corneille et du cornet de frites, une étude de cas
Il est dix heures du matin, c'est un dimanche, et le soleil semble bien décidé à luire avec force et énergie. Je suis confortablement installé dans le train, et je mon regard déambule sur le décors extérieur en attendant que commence le processus mécanique qui nous déplacera rapidement vers un autre endroit. Comment un train se meut-il ? Est-il en quelque sorte animé par l'électricité qui circule dans les fils de cuivre ? Et l'électricité, comment est-ce que ce fluide mystérieux passe-t'il à travers le cuivre lui même ? Il n'y a pourtant pas de trou où laisser passer un fluide, c'est du cuivre massif. Et le café ? Est-ce qu'il circule dans les nerfs de la même manière ? Etc. etc.
Mes pensées vagabondent…
Pas très longtemps cependant. D'où je me trouve, je peux voire une corneille, ses plumes noires resplendissantes dans la lumière du soleil. Elle est juchée sur un muret, en contrebas, loin de tout passage humain. Et de son bec, manipule adroitement une demi-douzaine de frites. Tac, tac, elle les aligne méticuleusement, jusqu'à former un petit fagot de bâtons de pommes de terres cuites dans l'huile. L'oiseau pivote la tête, contemple son œuvre, regarde à gauche, regarde à droite, regarde encore à gauche, clairement méfiant, et d'un geste adroit finit par saisir dans son bec le fagot tout entier.
Que va-t-il faire ?
Va-t-il prendre son essors, et disparaître de mon regard et des lignes de ce texte ?
Non. A la place, le corbeau fait de petits sauts élégants, qui l'amènent sur un des rails, puis entre les rails, sur une traverse. L’œil en coin, il scrute le sol. Les rocs composant le ballaste semblent à son goût, maintenant il sautille semblant chercher quelque chose… Ah ! Voilà ! Un trou dans le sol, une anfractuosité, à peine différenciable du reste du ballaste ! Il il pose ses frites. C'est ses frites, clairement. Il y pose ses frites, et aussitôt sélectionne quelques bon gros cailloux, pour en recouvrir l'aliment tant convoité (certainement).
Les frites abritées du regard, l'oiseau s'envole. Le train dans lequel j'assiste à la scène s'envole aussi. Ne restent que quelques interrogations :
Quelles étaient les intentions du volatile ? Protéger sa pitance des collègues volants, ou pire de tous ces autres indésirables volatiles que sont les moineaux, les pigeons, les pinsons, les merles, les pies, les canards, les perroquets, les mésanges, les autres, tous les autres plumitifs mangeurs de frites ! (Mais admettons un instant que l'oiseau se sente impuissant face aux rats et souris qui abondent dans nos gares)
Ou alors, vu le soleil qui s'annonce insistant et la petite bise qui malgré tout souffle le froid sous nos plumes à tous, l'oiseau (qui déteste les frites froides, on peut le comprendre) cherche-t-il à rendre son repas un peu moins piteux en le réchauffant à la chaleur de la caillasse sombre, maculée de déjections ferroviaire, mais chauffée, chauffée par le soleil, on peut le voir on peut le deviner, les cailloux sombres des voies de chemin de fer de la gare de Lausanne, sont suffisamment chauds pour réchauffer quelques aliments...
Mais peut-être que justement, les rats, c'est là le problème, les rats, un gang de rats, en livrée de peau, l’œil torve, et le pauvre oiseau, qu'on admettra pour l'instant blanc comme neige, innocent comme l'agneau pascal, le pauvre oiseau se fait racketter ! Par les rats ! ET CES FRITES sont son du.
Ou alors… Non, non, je ne sais pas.
Et ces frites, où cette corneille les a-t-elle trouvées ? Une poubelle ? Un cornet de frite abandonné ? Du vol à la tire ? Un précieux butin confisqué à une bande de schpatzes piailleurs et écervelés ?
Et ceci termine ma démonstration, il y a dans le monde bien des choses que nous ignorons.

Wednesday, February 11, 2015

Le fil ténu de la pensée...

Une nouveauté. Un texte court qui laisse la part belle à l'improvisation, sur une base que j'ai essayé de développer mais que je n'arrivais pas à finaliser. L'idée est de lire le texte en le commentant et en laissant l'inspiration vagabonder, toujours dans le thème d'un fil ténu, difficile à suivre, celui de la pensée. Autre nouveauté, durant cette session les slameurs étaient accompagnés par un guitariste, qui sonorisait façon Dead Man (le film de Jarmush) les délires verbaux des slameurs, et ça a super bien donné.

Parfois, une idée traverse nos esprits comme un papillon.
Ou plutôt comme une mite.
L'idée volette, légère, attire l'attention :
voici prise dans le rai de lumière de l'attention la première pièce d'un puzzle,
le centre sans qui tout s'effondre,
le cœur,
la pierre de plein cintre.
Un papillon.
Un papillon qui devient la fondation sur lequel je construis cette pensée.
Un roc.
Un moellon papillonnant distraitement,
bousculant pensées et inspirations,
créant quelques jolies analogies
par collisions.

Bing,
bang,
la caillasse se cogne durement,
l'idée jaillit encore,
étincelles,
fragments enflammés,
puis blocs en fusion,
puis moellons de construction,
puis pyramide,
pyramide de papillons,
ruine de pyramide de papillons,
pyramide mitée,
puis sable...
puis poussière...
puis...

Aaaah


Je ne sais plus. J'ai perdu le fil.

Vous reprendrez bien un peu de poison ?

Premier texte de la session du 11 février, c'est un extrait d'un scénario que je suis en train de travailler pour le jeu de rôle Itras By. Durant le slam à proprement parler, j'ai égaré deux paragraphes à cause de ma maladresse, voici le texte intégral, sans relecture...

Le train s’arrête, dans un port encaissé au fond d'un fjord, un port industriel, avec ce qu'il faut d'entrepôts crasseux et d'usines puantes, des conserveries, aux cheminées crachant une épaisse fumée noire, chargée de suie et de cendres. La gare est un complexe de voies et de wagon industriels, assortie de bâtiments noircis aux murs lépreux. Au centre, l'édifice de la gare lui-même se dresse, borgne, maculé de goudron, inquiétant assemblage de colonnades et de plafonds se perdant dans le smog. Des lampes à pétrole achèvent de saloper un air déjà bien cochonné. Des hommes attendent les voyageurs. Coiffés de chapeaux melons, ils sont un peu informes, comme ramollis par les sucs poisseux qui encrassent l'atmosphère et se lissent la moustache, un très vague sourire qui se voudrait accueillant et amical aux lèvres.

Les passagers descendent des wagons du convoi, il n'est pas prévu que le train reparte avant quelques heures et même si les lieux semblent peu accueillant, se dégourdir les jambes n'est jamais de trop dans ces longs, si longs voyages.

C'est alors que les hommes de mains cachés dans les ombres sortent de leurs caches et sans une once d'hésitation, attrapent les voyageurs les plus proches d'eux et d'une prise cruelle les maîtrisent et les tirent à l'écart. D'autres voyageurs sont sortis de force du train, criant et se débattant, et rejoignent les précédents prisonniers, maintenant au nombre de quinze. Les hommes moustachus et s'approchent de la foule au bord de la panique, et l'un d'entre eux, d'une voix de rogomme abîmée par l'alcool et la pollution, annonce qu'il n'y a pas à s'en faire, sérieux, tout va bien. Non vraiment tout va bien.

La foule panique. Probablement que les dents pourries du porte-parole gâche un tantinet l'effet de son sympathique sourire. Mais peut-être aussi que les quinze cercueils de planche qu'on charge dans le train aux places qu'occupaient les captifs ne font rien pour instaurer un esprit chaleureux et bon enfant. La foule panique.

Mais intéressons-nous plutôt aux prisonniers, que va-t-il leur arriver ? Sont-ils promis à une exécution sommaire ? Clairement on ne leur veut aucun bien, et dans cette ville étrange perdue quelque part au détour d'un cauchemar personne n'écoute leurs appels à l'aide. Devant eux, c'est un mur d'usines sombres qui tranchent le décor. Elles crachent dans les airs de larges quantités de fumée crasseuse, et émettent un bruit constant, un mélange de hurlements peu rassurants et de sons de machinerie lourde. À l'intérieur, c'est le carnage. Oh, rien de grave, on ne fait aucun mal aux passagers enrôlés de force, du moins pas directement.

Suspense...

Les navires noirs qui s’arrêtent dans ce port perdu déchargent leurs prises, leurs cargaisons de choses, poissons inconnus, tritons monstrueux, sirènes crevées aux dents aiguisées, acérées et aux yeux déjà morts. Puis, le prix négocié et obtenu, les sombres équipages quittent le port sans nom et les équarrisseurs des conserveries commencent leur tâche, tels des somnambules caparaçonnés de mailles, armés de terribles couteaux à poissons, si aiguisé qu'on jurerait qu'ils tranchent l'air. C'est une dangereuse tâche. Parfois, les créatures prises dans les filets ne sont pas mortes et font des trucs carrément fatals aux poissonniers, comme les déchirer en deux, remplir leur poumons d'eau, par magie. Ces choses là... Et ceci en leur infligeant un sentiment d'effroi très handicapant, et si dur à supporter qu'ils préfèrent se droguer, s'abandonner aux effets de l'alcool le plus frelaté. Pauvres poissonniers. Pauvres poissonniers ivres, ivres de mauvais vins et de terreurs atroces !

Depuis le précédent train, c'est quinze d'entre eux qui ont succombé, et dont les places sont à pourvoir. C'est une chance, de pouvoir travailler aussi près du fantastique, dans ce monde gris terne où la moindre originalité est écrasée.


Pensez-y, lorsque vous mangerez votre prochaine pizza aux filets de serpent de mer ou que vous dégusterez votre prochaine boite de triton au naturel, pensez-y...

Wednesday, January 07, 2015

Les gens sont incroyables

Voici deux fermiers.
Une, qui plante des radis, s'ennuie.
Alors elle chante.
Les mains plongées dans le terreau, elle vocalise, tisse de sa voix brillante une aria de beaux mots et de belles notes.
L'autre, lui, c'est les idées qui le passionnent.
Alors il pense, il pense que la terre qui le passionne, nourri les radis, que les idées se nourrissent des radis, que le chant c'est beau, du cresson d'âme, des fleurs à l'esprit vif, quelques poireaux indignés.
C'est deux artistes, mais ils le nieront.
Ils sont incroyables, ces gens.

Voilà trois connards. Enfin un connard et deux pétasses.
Jeunes, beaux, bien vêtus selon la mode en vigueur.
Toujours selon la mode en vigueur le mâle est barbu quoique sans panache aucun, et ses pantalons mi-« feu de plancher », mi-sac de ciment trempé, laissent voir des mollets velus à peine cachés par les officielles chaussettes de la saison.
La mode en vigueur, toujours elle, impose aux deux demoiselles de multiples couches de maquillages colorés, cheveux longs portés sur une oreille, blouses révélatrices et couvre-chefs de laine vierge ou sac à main de chez Vuitton, etc. Etc.
On les croirait tout droit sorties d'un épisode de Starski et Hutch.
Mais tout cet effort d'apparence est gâché : ce sont trois connards, qui vomissent des torrents d'agressivité et de jugements péremptoires, qui remplacent le monde entier par des préjugés bêtes et cruels, qui suivent la mode pour... pour... non je ne vois pas.
Ils sont incroyables, ces gens.

Et là, ce sont des rues entières de gens qui déambulent, croulant sous les présents et les victuailles, et qui traînent derrière eux une marmaille criarde, des enfants qui réclament de nouveaux jouets, une pelleteuse en plastique jaune, une barbie à la morphologie flippante, presque abstraite, des dames qui demandent des visons, des monsieurs qui voudraient un écran plat pour regarder le foutbal...
Le tout hors de prix, c'est Noël après tout.
Et à coté de ça, les bénévoles du pont Bessières, autour d'un feu, racontent des histoires de pauvreté et de besoin, de dénuement, de chômage, car ils en entendent, de toutes les couleurs...
Comment font-ils pour rester comme ça dans la froidure, pour empêcher les égarés de se balancer, quel force de caractère !
Ils sont incroyables, ces gens.

Et puis encore, quoi encore, un jeu cette fois.
Des copains qui écrivent, qui couchent sur le papier des mots, un jeu qu'ils se sont inventé...
On se serait dit qu'un matin un peintre aurait fait le monde, avec de la gouache et un peu de fusain.
On se serait dit que sans histoire la vie serait bien emmerdante et qu'elle manquerait de couleurs...
Alors ils écrivent, leur monde prend forme, ils le partagent, d'autres personnes les rejoigne, on en fait un livre, puis deux, puis une série de romans, qui rencontrent le succès, et c'est une série télè qui arrive, et tout le monde connait désormais leur rêve éveillé, tout le monde se reconnait dans un monde imaginé...
Un monde imaginé...
Les gens sont vraiment incroyables, quand on y pense...






Chevalier et monde inexistant

C'est un chevalier qui promène son spleen, sur les voies pavées d'un monde qui n'a jamais existé. C'est pour ça que le chevalier à l'armure rouillée déprime, c'est sur, son monde est un conte, un bobard même, et pas très fabuleux un mensonge trouvé sur internet.
C'est un chevalier, qui balade ses ambitions déçues comme on promène un vieux chien fidèle tremblant et efflanqué, avec ménagement et pitié, et toujours à l'esprit qu'il faudra bientôt l'achever, pauvre bête mourante.
C'est un chevalier...
Enfin c'est peut-être un chevalier, puisqu'il se promène dans un monde vide et désert, qu'il l'aurait ainsi baptisé ? On est nous-même et aussi le regard des autres, je suis qui je suis aussi parce que je vous parle.

En fait non, ce n'est pas un chevalier, c'est un moulin à vent.
Un moulin à vent qui se prend pour un chevalier. Au milieu d'une plaine aride, où souffle un vent sec et chaud, et où personne ne passe jamais, ou plus jamais. Est-ce que le moulin est abandonné ?
Ses grandes ailes tournent dans les airs, il brasse de l'air, il rêve d'être un géant et de combattre de féroces vagabonds, mais il ne peut pas rêver non ?
C'est un moulin à vent, et les moulins à vent, c'est des bâtiments, ça ne rêve pas un bâtiment, c'est du mortier, de la pierre quelques poutres d'un bois solide non ?
Ça ne rêve pas...

En fait non, ce n'est pas un moulin à vent, c'est le mistral ou un vent qui y ressemble.
Un souffle d'air, un rêve solitaire, sur un monde qui n'existe pas une idée qui se promène dans les airs, sous un soleil ma foi carrément impitoyable, un peu comme si on pouvait le voir et l'observer.
C'est le vent.
On ne peut pas le voir alors il imagine être visible, courir les plaines désertes et les couvrir de son ombre, lui le vent soudainement devenu fumée, smog noir et étouffant, sous le soleil impitoyable.
Le monde qui n'existait pas n'existe plus, je viens de l'étouffer sous un vent de suie, sous un linceul de brouillard.

En fait non, ce n'est pas le vent, mais des mots que j'ai écrits.
D'abord à la plume puis à l'aide d'un traitement de texte, et que je suis probablement en train de lire, à haute voix, devant un public que j'espère amuser un peu.
C'est des mots que je voulais entendre parler de mort, de cette mort qui arrive à tout le monde, à force, et de ceux qui restent.
Des mots que je voulais entendre dire « On n'enterre pas des idéaux de la même manière qu'on le ferait avec un vieux canasson fatigué, exhalant son dernier souffle au terme d'une vie de labeur. »

Alors... Alors j'ai empoigné la plume et les mots m'ont échappé.