Une heure entre deux départs, la gare est déserte, silencieuse
et sombre. Mes pas résonnent, le vol d’un pigeon perturbe le
silence, un peu.
Les sons sont comme étouffés, l’écho fait disparaître les
murs, le bâtiment s’efface dans la brume, l’ambiance est au
mystère...
Où va la gare quand elle est inutilisée ?
Les gares n’existent que dans la tête des voyageurs, n’existent
que parce qu’on s’y rend.
Et on s'y rend, parce qu’un automate, crache un morceau de
carton, un ticket de train, une contremarque à échanger contre
l’arrivée à une destination.
Au même moment ! Au même instant où la machine imprime son
œuvre, soudainement, une destination apparaît exactement à
l’endroit où le voyageur désire se rendre.
Les choses sont ainsi faites, qu’il n’a plus qu’à s’y
déplacer pour échanger son billet, c’est tout de même bien
pensé, quand on prend la peine de s’y intéresser…
Mais la gare, la gare n’existe que dans la tête des gens qui y
passent. Elle est un lieu vague sans les voyageurs, qui n’a pas de
sens, et le sens quand on voyage en train, c’est capital.
Quand on achète un billet de train, soudain une gare apparaît,
comme un clou, à l’autre extrémité de la ligne, et par la magie
du système ferroviaire un parcours est créé.
D’un point A à un point B, des rails surgissent du sol, leur
métal bouscule les pissenlits et la luzerne, les traverses et le
ballast déracinent les orties et quelques pieds de vignes.
Quel bazar !
Heureusement qu’on n’a pas besoin d’acheter de billet pour
prendre l’ascenseur ou pour arriver à demain, imaginez deux
secondes le foutoir que ce serait…
Soudain ! Soudain ! Là où il n’y avait qu’un
silence cotonneux, dans lequel je songeais, un brouhaha immense !
Une foule ! Des valises à roulettes ! Des touristes en
cartons de douze ! Voyageurs organisés !
Avec un ensemble parfait, ils jettent un regard à gauche, un
regard à droite, et d’un geste uniforme jettent au sol le billet
de train qui les a amenés ici.
Ici !
Où étais-je avant qu’ils arrivent ?