Wednesday, January 07, 2015

Les gens sont incroyables

Voici deux fermiers.
Une, qui plante des radis, s'ennuie.
Alors elle chante.
Les mains plongées dans le terreau, elle vocalise, tisse de sa voix brillante une aria de beaux mots et de belles notes.
L'autre, lui, c'est les idées qui le passionnent.
Alors il pense, il pense que la terre qui le passionne, nourri les radis, que les idées se nourrissent des radis, que le chant c'est beau, du cresson d'âme, des fleurs à l'esprit vif, quelques poireaux indignés.
C'est deux artistes, mais ils le nieront.
Ils sont incroyables, ces gens.

Voilà trois connards. Enfin un connard et deux pétasses.
Jeunes, beaux, bien vêtus selon la mode en vigueur.
Toujours selon la mode en vigueur le mâle est barbu quoique sans panache aucun, et ses pantalons mi-« feu de plancher », mi-sac de ciment trempé, laissent voir des mollets velus à peine cachés par les officielles chaussettes de la saison.
La mode en vigueur, toujours elle, impose aux deux demoiselles de multiples couches de maquillages colorés, cheveux longs portés sur une oreille, blouses révélatrices et couvre-chefs de laine vierge ou sac à main de chez Vuitton, etc. Etc.
On les croirait tout droit sorties d'un épisode de Starski et Hutch.
Mais tout cet effort d'apparence est gâché : ce sont trois connards, qui vomissent des torrents d'agressivité et de jugements péremptoires, qui remplacent le monde entier par des préjugés bêtes et cruels, qui suivent la mode pour... pour... non je ne vois pas.
Ils sont incroyables, ces gens.

Et là, ce sont des rues entières de gens qui déambulent, croulant sous les présents et les victuailles, et qui traînent derrière eux une marmaille criarde, des enfants qui réclament de nouveaux jouets, une pelleteuse en plastique jaune, une barbie à la morphologie flippante, presque abstraite, des dames qui demandent des visons, des monsieurs qui voudraient un écran plat pour regarder le foutbal...
Le tout hors de prix, c'est Noël après tout.
Et à coté de ça, les bénévoles du pont Bessières, autour d'un feu, racontent des histoires de pauvreté et de besoin, de dénuement, de chômage, car ils en entendent, de toutes les couleurs...
Comment font-ils pour rester comme ça dans la froidure, pour empêcher les égarés de se balancer, quel force de caractère !
Ils sont incroyables, ces gens.

Et puis encore, quoi encore, un jeu cette fois.
Des copains qui écrivent, qui couchent sur le papier des mots, un jeu qu'ils se sont inventé...
On se serait dit qu'un matin un peintre aurait fait le monde, avec de la gouache et un peu de fusain.
On se serait dit que sans histoire la vie serait bien emmerdante et qu'elle manquerait de couleurs...
Alors ils écrivent, leur monde prend forme, ils le partagent, d'autres personnes les rejoigne, on en fait un livre, puis deux, puis une série de romans, qui rencontrent le succès, et c'est une série télè qui arrive, et tout le monde connait désormais leur rêve éveillé, tout le monde se reconnait dans un monde imaginé...
Un monde imaginé...
Les gens sont vraiment incroyables, quand on y pense...






Chevalier et monde inexistant

C'est un chevalier qui promène son spleen, sur les voies pavées d'un monde qui n'a jamais existé. C'est pour ça que le chevalier à l'armure rouillée déprime, c'est sur, son monde est un conte, un bobard même, et pas très fabuleux un mensonge trouvé sur internet.
C'est un chevalier, qui balade ses ambitions déçues comme on promène un vieux chien fidèle tremblant et efflanqué, avec ménagement et pitié, et toujours à l'esprit qu'il faudra bientôt l'achever, pauvre bête mourante.
C'est un chevalier...
Enfin c'est peut-être un chevalier, puisqu'il se promène dans un monde vide et désert, qu'il l'aurait ainsi baptisé ? On est nous-même et aussi le regard des autres, je suis qui je suis aussi parce que je vous parle.

En fait non, ce n'est pas un chevalier, c'est un moulin à vent.
Un moulin à vent qui se prend pour un chevalier. Au milieu d'une plaine aride, où souffle un vent sec et chaud, et où personne ne passe jamais, ou plus jamais. Est-ce que le moulin est abandonné ?
Ses grandes ailes tournent dans les airs, il brasse de l'air, il rêve d'être un géant et de combattre de féroces vagabonds, mais il ne peut pas rêver non ?
C'est un moulin à vent, et les moulins à vent, c'est des bâtiments, ça ne rêve pas un bâtiment, c'est du mortier, de la pierre quelques poutres d'un bois solide non ?
Ça ne rêve pas...

En fait non, ce n'est pas un moulin à vent, c'est le mistral ou un vent qui y ressemble.
Un souffle d'air, un rêve solitaire, sur un monde qui n'existe pas une idée qui se promène dans les airs, sous un soleil ma foi carrément impitoyable, un peu comme si on pouvait le voir et l'observer.
C'est le vent.
On ne peut pas le voir alors il imagine être visible, courir les plaines désertes et les couvrir de son ombre, lui le vent soudainement devenu fumée, smog noir et étouffant, sous le soleil impitoyable.
Le monde qui n'existait pas n'existe plus, je viens de l'étouffer sous un vent de suie, sous un linceul de brouillard.

En fait non, ce n'est pas le vent, mais des mots que j'ai écrits.
D'abord à la plume puis à l'aide d'un traitement de texte, et que je suis probablement en train de lire, à haute voix, devant un public que j'espère amuser un peu.
C'est des mots que je voulais entendre parler de mort, de cette mort qui arrive à tout le monde, à force, et de ceux qui restent.
Des mots que je voulais entendre dire « On n'enterre pas des idéaux de la même manière qu'on le ferait avec un vieux canasson fatigué, exhalant son dernier souffle au terme d'une vie de labeur. »

Alors... Alors j'ai empoigné la plume et les mots m'ont échappé.