Le chou, les carottes, les saucisses, les champignons, la collection d’épices, les patates et les morceaux de lard.
Il faut couper tout ça.
Le cuisinier prend le temps de considérer les aliments. Les aliments considèrent silencieusement le cuisinier, mais ne manifestent qu’indifférence. Aucun tubercule ne moufte, pas une tige, pas un zeste ne s’échappe de la table. La main n’a plus qu’à saisir, le hachoir n’a plus qu’à hacher.
Il faut tout couper. Tout couper. Il faut couper tout ça.
Une mouche est entrée dans la cuisine. Attirée par la lumière et les aliments. On entend son bourdonnement, léger contrepoint à celui du frigo. Elle reste inaperçue, la tension monte.
Il faut tout couper, tout couper très fin.
La main s’élève, crispée sur le manche du couteau.
Un rai de lumière frappe la lame, un éclat froid. Inquiétant.
La table tressaute. Un premier coup de fer vient frapper le bois. Un coup lourd, comme une hache qui s’abat sur un tronc. Les légumes tremblent, les saucisses sautillent, le lard colle au bois, la petite salière en verre se couche sur le coté.
Il faut couper fin. Il faut. Couper. Tout ça. Très fin. Très très fin.
Le massacre continue.
Le lard un instant résiste, courageux. Mais la lame impitoyable se fraie un chemin dans sa chair, la traverse, décolle la graisse du plan de travail, tandis que la main récolte les morceaux et les jette dans la marmite.
Couper ! Fin ! Tout ! Et le lard aussi !
C’est au tour des végétaux… La cadence s’accélère…
Une grêle de métal et d’angles tranchants. Chaque coup asséné exactement un demi-millimètre à gauche du précédent, guidé habilement le long de la main gauche, un geste assuré, précis.
Comme un tambour. La table résonne sous le déluge de chocs, l’acier trempé de sucs végétaux brille sous le néon !
Il faut COUPER ! TOUT ! COUPER !
Un nouveau geste, comme une serre, et la main s’empare des saucisses.
Le feu de la lame épargne les doigts mais tranche les saucisses, en morceaux plus épais que tout le reste, tout le reste qui doit être coupé très très fin, tout, presque tout. Des rondelles roulent de tous les cotés, rapidement interceptées.
Il faut tout COUPER !
La cuisine résonne d’échos de violences passées. La paix revient, un geste et les saucisses rejoignent les légumes dans la soupe. Ça mijote. Peinard.
Essoufflé. Une goutte de sueur glisse le long de son front, qu’il essuie d’un revers de main. Son cœur bat fort, bien à l’abri de sa cage, loin des couteaux et des carottes.
Tout est coupé.
Un geste vif, la main s’empare de la salière, mais la graisse du lard complique la tâche, la salière glisse, vole, heurte la paroi, s’ouvre, s’ouvre, s’ouvre… Le sel s’échappe… Et tout finit dans la marmite.
Consternation.
La mouche ressort de la cuisine. Invisible.